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Rencontre avec… le Dr. Remakel, médecin urgentiste – Interventions communes des équipes de secours françaises et allemandes

Depuis 2002, le Centre Hospitalier de Wissembourg et la Deutsche Rote Kreuz Bad Bergzabern et assurent ainsi les soins d’urgence dans le Palatinat-Sud-Est. Afin d’enrayer le manque de médecins dans cette région, les équipes des services d‘aide médicale urgente ont trouvé une solution transfrontalière innovante. Ainsi, les équipes des services de secours français et allemands effectuent des interventions communes en semaine, le soir et la nuit, dans les environs de Bad Bergzabern.

Nous avons rencontré le Docteur Claudine Remakel, responsable du SMUR au Centre hospitalier de Wissembourg afin qu’elle nous raconte depuis quand les équipes franco-allemandes AMU passent la frontière et comment sont organisées ces interventions... Dr Remakel, est luxembourgeoise d’origine, convaincue que des voisins qui vivent si près l’un de l’autre doivent impérativement coopérer. Et pourquoi ne serait-ce pas le cas pour un domaine aussi important que l’aide médicale urgente ?

Dr. Remakel, la DRK Bad Bergzabern et le CHU Wissembourg coopèrent maintenant depuis plus de 16 ans. Comment s’est établi la coopération entre la Deutsches Rotes Kreuz Bad Bergzaben et le CHU Wissembourg ?

Les débuts de la coopération entre nos deux services médicaux d’urgence datent en fait d’un accident de moto, qui s’est produit à quelques mètres de la frontière. C’était entre 1998 et 1999. Un infirmier urgentiste français a été témoin de cet accident. Il s’est alors demandé comment était organisée l’aide médicale urgence du côté allemand. Dans un premier temps, la coopération est donc née de contacts informels. Les personnels ont alors rapidement organisé des visites chez le partenaire voisin pour comprendre l’organisation de l’aide médicale urgente dans l’autre pays.  

A partir de 2002, la réglementation européenne sur le temps de travail des médecins a été mise en place en Allemagne, impliquant de nouvelles dispositions concernant la durée de travail hebdomadaire maximale pour les médecins en Allemagne, avec, pour conséquence, un manque de médecins dans de nombreux établissements hospitaliers. C’est à partir de là qu’une coopération entre le centre hospitalier de Wissembourg et la Croix rouge allemande de Bad Bergzabern s’est développée. A Bad Bergzabern, du fait de la nouvelle règlementation sur le temps de travail, nous faisions face à un manque de médecins pour assurer la garde AMU de nuit en semaine. Nous avons donc cherché une solution ensemble, afin de maintenir un service AMU en Palatinat-Sud-Est la nuit. Grâce à la convention de coopération datant de 2002, les équipes d’aide médicale urgente françaises et allemandes peuvent désormais effectuer des interventions communes.

Il est intéressant que la coopération transfrontalière se soit développée suite à des réformes internes à l‘Etat. A quelle fréquence les interventions communes se déroulent-elles concrètement ?

L’année dernière, les équipes d‘aide médicale urgente franco-allemandes ont été appelées pour près de 95 interventions. Tous les neuf jours environ, nous effectuons des interventions communes avec des ambulances allemandes stationnées à Wissembourg. Les chiffres varient cependant beaucoup dans le domaine de l’aide médicale urgente. Parfois, nous n’effectuons pas d’intervention de l’autre côté de la frontière pendant une semaine complète, puis la semaine suivante, nous en faisons quatre.

Comment se déroulent concrètement ces interventions communes ?

Concrètement, un Notfallsanitäter allemand (correspond à la qualification la plus élevée après le médecin urgentiste) est stationné de 19h à 7h à Wissembourg en semaine, il attend d’intervenir avec une ambulance allemande sur le territoire allemand. Lorsqu’un appel arrive, le Notfallsanitäter allemand effectue l’intervention conjointement avec un médecin urgentiste de gardede l’hôpital français. Les deux utilisent un véhicule allemand lors de l’intervention sur le sol allemand. La condition pour pouvoir effectuer une telle intervention est évidemment qu’au moins un des deux soit bilingue. Si tel n’est pas le cas, le médecin urgentisteet le Notfallsanitäter sont accompagnés par un infirmier ou une infirmière.  

En France, jusqu’à présent le médecin urgentiste intervient conjointement avec un infirmier ou une infirmière, tandis qu’en Allemagne l’équipe se compose d’un Notarzt et d’un Notfallsanitäter.

Il semble qu’il y ait des qualifications différentes en France et en Allemagne. Est-ce que ces différences jouent un rôle dans la pratique ?

Oui, les relations sont souvent différentes dans les faits, en fonction de la personne avec laquelle on effectue l’intervention, infirmier français ou Notfallsanitäter allemand. Les Notfallsanitäter en Allemagne disposent de compétences en matière de cas d’urgence mais n’ont pas de rôle à l’hôpital en dehors des secours d’urgence. Pour les infirmiers, c’est l’inverse : ils n’ont pas de réelles compétences en matière de cas d’urgence, mais sont opérationnels dans tous les autres services de l’hôpital. Lors d’une intervention, on remarque parfois que les Notfallsanitäter sont plus sûrs d’eux face aux médecins urgentistes. En effet, ils peuvent prendre de nombreuses décisions de façon autonome, ce qui n’est pas le cas des infirmiers français.  

La qualification des médecins urgentistes en elle-même constitue une autre différence. En France, les futurs médecins urgentistes effectuent une formation spécialisée en aide médicale urgente. En Allemagne, cette formation n’existe pas en tant que telle. Les Notärzte allemands ont suivi une autre formation en médecine spécialisée. Ils sont par exemple internistes ou anesthésistes et disposent tout au plus d’une courte formation complémentaire en aide médicale urgente.

Revenons à l’intervention en tant que telle. Lorsque la situation se présente, comment est effectué le choix de l’hôpital ou du côté de la frontière où sera amené le patient ?

En règle générale, après que le diagnostic ait été établi, les Notfallsanitäter déterminent avec les hôpitaux les plus proches, si des places sont encore disponibles dans chacun des établissements. Ceux-ci doivent alors satisfaire aux exigences qu’implique le diagnostic correspondant. Si un respirateur est nécessaire, par exemple, le Notfallsanitäter contacte le prochain hôpital qui dispose de ces équipements et demande si un tel appareil est libre. Si tel n’est pas le cas, il continuera de contacter les autres hôpitaux. En principe, ce n’est pas un problème d’amener un autre patient de l’autre côté de la frontière.

Le patient a-t-il un droit de regard sur la décision concernant l’hôpital dans lequel il est pris en charge ?

En la matière, la législation varie en fonction des Länder. Le droit allemand prévoit que le patient soit amené dans l’hôpital le plus proche, à condition que celui-ci puisse satisfaire aux exigences du diagnostic. En France au contraire, les patients peuvent exprimer leurs souhaits concernant le choix de l’hôpital et ont ainsi un certain droit de regard. Sur demande, un patient peut être amené dans une clinique privée. Dans ce cas-là, il peut également s’agir d’une institution religieuse. Toutefois, dans la pratique, tous les souhaits des patients ne peuvent être satisfaits. On veille à ce que le souhait émis par le patient soit conforme eu égard aux soins. Lorsqu’il s’agit d’une simple fracture du bras, nous ne transportons pas un patient de Wissembourg à Strasbourg, ce trajet impliquant une absence d’au moins 3 heures pour nous.  

Une dernière question afin de conclure, après avoir parlé si longuement des différences : à votre avis, pourquoi est-il important que les services d‘aide médicale urgente coopèrent au niveau transfrontalier ?

En tant que luxembourgeoise d‘origine, pour moi il apparait tout à fait normal de coopérer avec les pays voisins. Après tout, un pays aussi petit que le Luxembourg ne pourrait jamais s’en sortir sans la coopération transfrontalière. Les conventions de coopération entre les sapeurs-pompiers existent déjà depuis les années soixante. Pour moi, il est inconcevable de ne pas travailler main dans la main, en particulier lorsqu’il s’agit du  bien-être des personnes à l’échelle locale. Lorsque nous sommes amenés à intervenir dans les environs de Bad Bergzabern, les patients étaient toujours très heureux qu’un médecin urgentiste compétent soit présent, peu importe qu’il soit français ou allemand. Entre Wissembourg et Bad Bergzabern, nous avons l’avantage que les deux hôpitaux ne soient éloignés que d’une quinzaine de kilomètres et soient de taille presqu’identique. Si les conditions de mise en œuvre concordent, une coopération peut être très réussie.

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